La Lamia dans l’Antiquité

Dans l’histoire, le nom «Lamia» est utilisé comme nom commun pour désigner une espèce de créatures monstrueuses d’apparence au moins partiellement féminine qui s’attaquent notamment aux jeunes hommes.  

Lamia, par Herbert Draper (1909)

L’une des premières mentions connues de Lamia apparait dans la littérature grecque antique avec le poème de Stésichore. Selon Maria Patera, «le sicilien Stésichore, qui a vécu au VIème siècle avant notre ère, écrivit un poème perdu intitulé Scylla, où Scylla était la fille d’une espèce de Lamia».

Dès l’Antiquité grecque, le nom de Lamia est également utilisé comme nom commun et nom pluriel pour désigner des créatures féminines surnaturelles aux actions néfastes.

Les lamies sont mentionnées par des auteurs de romans grecs et latins comme le écrivain, orateur et philosophe médio-platonicien, Apulée, qui y fait allusion dans ses Métamorphoses, pour parler d’une sorcière.

La Lamia de Plutarque

Outre les récits contés par Collin de Plancy, l’ouvrage «Description de la Grèce» du géographe Pausanias raconte qu’Hérophile, sibylle d’Érythrée, est née d’une Lamia, fille de Poséidon, et de Zeus.

Plutarque dit que la légende raconte que Lamia dort aveugle chez elle, déposant au fond d’un petit vase ses yeux qu’elle s’ajuste de nouveau pour voir clair quand elle va sortir.

Dans «Les vies des hommes illustres», Plutarque (Tome II : Vie de Démétrius – ΔΗΜΗΤΡΙΟΣ partie I – partie II. Traduction française : Alexis Pierron), écrit que l’orateur et homme d’État de l’Athènes antique

«Démocharès de Soli appelait Démétrius Mythos, parce qu’il avait toujours avec lui sa Lamia. Le grand crédit de cette courtisane, et la passion avec laquelle Démétrius l’aimait, excitaient contre elle la jalousie et la haine, non-seulement des femmes légitimes de Démétrius, mais encore de ses amis».

De ce texte, il est expliqué que «Mythos veut dire conte ou fable ; et l’on épouvantait les enfants du récit des exploits d’une Lamia, qui avait été, suivant la tradition, quelque chose comme les ogresses des contes de fées : Neu pransœ Lamiœ vivum puerum extrahat alvo, dit Horace.»

Dans cette histoire, la Lamia est une hétaïre (dans l’Antiquité grecque, courtisane de bonne éducation) et joueuse de flûte qui a longtemps eu les faveurs de Démétrios (Démétrius, général macédonien de la dynastie des Antigonides), avec qui elle aurait eu une fille qui se serait nommée Phila.

La Lamia de Diodore de Sicile

Une autre variante de Lamia est connue par davantage d’auteurs : une femme dont l’apparence devient monstrueuse dans diverses circonstances. Son histoire est connue notamment par Diodore de Sicile qui en donne sa version au livre XX de sa « Bibliothèque historique ».

 « (…) aux environs d’Automales. Un peu au-delà on voyait une montagne dont les deux côtés étaient également raide et qui avait dans son milieu un creux large et profond, d’où s’élevait une pierre extrêmement unie qui se terminai en pointe droite au-dessus de la montagne. Autour de la base de cette pierre, était un antre vaste garni dans toute son étendue d’ifs et de lierre dans lequel la fable faisait habiter Lamia, reine d’une extrême beauté. Mais elle ajoute qu’en punition de la férocité de son caractère et de ses moeurs, elle fut transformée en bête sauvage. On raconte qu’ayant perdu tous ses enfants, elle tomba dans un tel désespoir, que jalouse de toutes les femmes qui avaient conservé les leurs, elles les faisaient enlever d’entre leurs bras, pour les massacrer elle-même. Cest pour cela qu’encore aujourd’hui cette femme est demeurée odieuse à tous les enfants qui craignent même d’entendre prononcer son nom. On ajoute que quand elle s’était enivrée elle permettait de faire tout ce qu’on voulait, sans craindre de sa part aucune perquisition de ce qui s’était passé avant qu’elle fut revenue de l’assoupissement où son ivresse l’avait plongée. C’est pour cela aussi que quelques fois avant que de boire elle mettait ses yeux dans un sac, la fable transportant ainsi à une précaution volontaire et délibérée, l’effet que le vin fait sur ceux qui en boivent une trop grande quantité, quoique le sommeil qu’amène l’ivresse ne soit pas de leur intention. Au reste que Lamie fut née dans une province de l’Afrique, ces deux vers d’Euripide en font foi : Par son nom de tout temps l’Africaine Lamie. De tout vice de mœurs désigna l’infamie ».

Histoire universelle de Diodore de Dicile, traduite en français par Monsieur l’Abbé Terrasson, Tome sixième, Paris 1744 – texte gardé en l’état

La Lamia, amante de Zeus

Dans une autre variante, la Lamia est une princesse de Libye, fille du roi Bélos. Lamia devient l’amante de Zeus et encourt la jalousie d’Héra, qui tue tous ses enfants. Par vengeance et désespoir, Lamia commence alors à s’attaquer aux enfants des autres pour les enlever et les tuer. Petit à petit, son visage se déforme hideusement. Zeus, apitoyé, la rend capable d’ôter ses yeux et de les remettre. Cette variante est évoquée aussi par Plutarque, De curios. 2, par le géographe Strabon, par la Souda à l’entrée «Lamia».

La Lamia d’Antoninus Liberalis

Selon Maria Patera, dans «Figures grecques de l’épouvante de l’antiquité au présent. Peurs enfantines et adultes»,

«il existe toutefois deux récits de ‘transformation’, ou plutôt de disparition par transformation, associés à Lamia. Le premier est contenu dans les Métamorphoses d’Antoninus Liberalis, qui aurait été inspiré par un récit de Nicandre».

Mnemosyne supplements : monographs on Greek and Latin language and literature, ISSN 0169-8958 ; volume 376, 2015

Une grosse bête, nommée Lamia ou Sybaris, vivait dans une caverne située sur la montagne Kirphis près de Krisa, elle terrorisait les habitants de Delphes Ces derniers, selon l’oracle de Delphes, étaient prêts à lui offrir un jeune homme, Alcyoneus, lorsque le héros Eurybatos (fils d’Euphémos), tombé amoureux de la victime, prit sa place. Il tira la bête hors de son antre et la jeta dans un précipice. «La bête disparut, et à l’endroit où elle tomba apparut une source, que les Delphiens nommèrent Sybaris». 

La Lamai de Philostrate

Philostrate, orateur et biographe romain de langue grecque, inclut dans sa «Vie d’Apollonios de Tyane» un épisode où Apollonios démasque une lamie déguisée en jeune et belle Corinthienne et qui était occupée à séduire son ami Ménippe en s’aidant de puissants sortilèges d’illusions :

«Il y avait alors a Corinthe un philosophe nommé Démétrius, qui s’était approprié la male vigueur de la doctrine cynique, et dont Favorinus a souvent parlé avec éloge. Démétrius eut pour Apollonius les mêmes sentiments qu’Antisthène, dit-on, eut pour Socrate. Il le suivit en élève assidu, et le fit suivre par le meilleur de ses propres disciples. De ce nombre était Ménippe de Lycie, âgé de vingt-cinq ans, d’un esprit distingué et d’une beauté remarquable : on l’eût pris pour un athlète aussi bien né que bien fait de corps. On croyait généralement que Ménippe était aimé de je ne sais quelle étrangère. On eût dit que cette femme était belle, agréable et riche; mais il n’y avait rien de vrai dans tout cela, ce n’étaient que des apparences. Un jour que Ménippe marchait seul sur la route qui mène à Cenchrées, un fantôme lui apparut sous la figure d’une femme, qui lui prit la main, lui dit qu’elle l’aimait depuis longtemps, qu’elle était Phénicienne et demeurait dans un faubourg de Corinthe qu’elle lui désigna : « Venez me trouver le soir, continua-t-elle, vous m’entendrez chanter, je vous ferai boire du vin comme vous n’en avez pas encore bu, vous n’aurez pas à craindre de rival : belle comme je suis, je serai heureuse de vivre avec un beau jeune homme comme vous. » Le jeune homme fut vaincu par ces paroles ; car, bien que philosophe du reste très solide, il ne savait pas résister à l’amour. Il alla donc chez cette femme chaque soir, et pendant longtemps la fréquenta comme sa maîtresse, sans se douter que ce ne fût qu’un fantôme. Apollonius considéra Ménippe avec le regard attentif d’un sculpteur ; quand il eut ses traits bien gravés dans la mémoire, il lui dit : « Savez-vous, beau jeune homme, vous qui êtes courtisé par les belles dames, que vous réchauffez un serpent et qu’un serpent vous réchauffe? » Ménippe fut étonné; Apollonius continua: « Vous êtes lié avec une femme qui n’est pas votre épouse. Mais croyez-vous qu’elle vous aime? – Oui, certes, toute sa conduite me le donne à croire. – Et l’épouseriez-vous bien ? – Ce serait pour moi un grand bonheur que d’épouser une femme qui m’aime. – à quand la noce? – A bientôt, à demain peut-être. » Apollonius attendit le moment du festin, et quand les convives furent arrivés, il entra dans la salle : « Où est, demanda-t-il, la belle que vous fêtez ? – La voici, dit Ménippe qui se leva en rougissant. – A qui de vous deux appartiennent l’or, l’argent et les autres objets précieux qui ornent cette salle ? – A ma femme, car voici tout ce que je possède », et Ménippe montrait son manteau. Apollonius se tournant vers les convives : « Connaissez-vous les jardins de Tantale, qui sont et ne sont pas? – Oui, mais seulement par Homère car nous ne sommes pas descendus dans le Tartare. – Eh bien ! tout ce que vous voyez ici est la même chose : il n’y a ici nulle réalité, tout n’est qu’apparence. Voulez-vous que je me fasse mieux comprendre? La charmante épousée est une de ces « empuses » , que le peuple appelle « Lamies » ou « Mormolyces » . Elles aiment beaucoup l’amour, mais encore plus la chair humaine : elles allèchent par la volupté ceux qu’elles veulent dévorer. – « Indigne calomnie! » s’écria la jeune femme, et elle parut indignée de tout ce qu’elle venait d’entendre, et s’emporta contre les philosophes, qu’elle taxa de cerveaux creux. Tout d’un coup, les coupes d’or et les vases qu’on avait crus d’argent s’évanouirent, tout disparut, on ne vit plus ni échansons, ni cuisiniers, ni aucun des autres serviteurs : les paroles d’Apollonius avaient dissipé le prestige; alors le fantôme se mit à pleurer et supplia Apollonius de ne pas le mettre à la torture pour lui faire avouer ce qu’il était. Mais, comme Apollonius le pressait et ne voulait pas le lâcher, le fantôme finit par reconnaître qu’il était une empuse, qu’il avait voulu gorger Ménippe de plaisirs pour le dévorer ensuite, et qu’il avait coutume de se nourrir ainsi de beaux jeunes gens parce qu’ils ont le sang très frais. C’est là un des faits les plus célèbres de la vie d’Apollonius : cependant j’ai cru nécessaire d’y insister. C’est que, s’il est plus connu que les autres, ayant eu lieu au milieu de la Grèce, en général on sait seulement qu’il a dévoilé une lamie à Corinthe. Mais dans quelle circonstance ce fait eut-il lieu? comment intéresse-t-il Ménippe? Voila ce qu’on ne savait pas encore et ce qui n’est raconté que dans les Mémoires de Damis et dans l’extrait que je viens d’en donner » .

Philostrate, Vie d’ Apollonius de Tyane: IV, 25

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